Les noces de Narcisse et Echo

Ofer Lellouche

Les noces de Narcisse et Echo

Une femme jetée nue sur un drap blanc tendu, en croix, sera-t-elle la rivale de celle là, l’autre, sur le lit tiède, ou, se dressera t elle, morale, entre deux fenêtres ? 

La faille (à travers laquelle, je vois dans un coin d’atelier, les ustensiles ordinaires de la vie) entre le miroir et ce papier sur lequel je dessine mon image , est un gouffre. 

Peut on, doit on, se pencher sur cet abîme qui n’est que mirage de terre ferme, en s’amarrant, (dans un va et vient du regard) entre ces symétriques chimères ? 

Ou, doit on rapprocher, jusqu’à qu’ils se touchent, dans un angle obtus, deux pages rivales, à la tangence desquelles apparaîtra, (si on le laisse faire) un fantôme ailé ? 

Derrière toute réalité palpable, doit nécessairement se tresser une toile rusée à ras de gouffre. 

Déposer d’une verge prudente cette vierge sanglante pour le repas du monstre ? 

Appuyer au mur blanc une ombre frêle, faille à faire craquer des murailles ? 

Lézarde maligne, à fleur de stèle, tu évoqueras dans ton déploiement vertigineux, la perfection insensée d’un point de fuite à travers lequel (dans un bris silencieux de vitre) le monde, qui n’est que miroir, s’engloutit. 

Preuve de la perfection insensée de ma propre ponctuelle existence. 

Soucieux reptile anxieux de symétrie, tu inventas une mathématique du naufrage ; De l’autre coté du miroir, on me donne la réponse à une question que j’ai du mal à formuler. 

Incompréhensible, le substantival nombril (rond comme le zéro) de cette sculpture. 

Incompréhensible, l'indéfinie multiplicité de ses reflets. 

Solitude du dieu qui comme alternative au suicide s’inventa un double, puis pariant avec lui, et perdant à tous les coups, se dépouilla peu à peu de toutes ses richesses. On peut se noyer dans un miroir. 

Le verbe serait il le centre d’une symétrie qu’il traînerait comme deux béquilles ? 

Native déchirure d’une chute immémoriale. Je suis deux. Absolument. Comme lorsque nous jouons avec deux dés mais parions sur un nombre (unique comme le dessin d’un serpent qui s’insinue entre le corps de l’homme et celui de la femme) car le diable ne peut pas se voir dans un miroir. 

Et la mer est le paysage de mon enfance. 

Surface lisse, opaque, de la mer sur laquelle roulent, monotones et réelles, les vagues. 

La mer est un socle et les vagues sont des sculptures. 

Noces de Narcisse et d’Echo. 

Et la mer est ( je le dis avec peine) un lieu théorique. Comme un tableau noir, sur lequel sont notées puis effacées des équations, ou comme le plancher d’un avion. 

Sur la plage, la silhouette d’un homme ( ?) coupait la ligne d’horizon et partageait ainsi l’infini en deux. 

De loin, une montagne ressemble à un mirage, mais dés que je monte dessus, je suis entouré de murailles étouffantes.